27 mai 2025

Des ponts scientifiques avec la jeunesse autochtone

Dans le village de Kuujjuarapik, situé au confluent de la Rivière Grande Baleine et de la Baie d’Hudson, deux communautés autochtones distinctes cohabitent depuis des générations : les Inuits de Kuujjuarapik et les Cris de Whapmagoostui. C’est ici, dans ce coin reculé du Nunavik où les langues autochtones ponctuent les conversations de rue, que s’est déroulée l’édition 2025 de l’Expo-sciences autochtone Québec. Un lieu qui illustre bien le partenariat développé depuis cinq ans entre IVADO, consortium québécois spécialisé en intelligence artificielle, et les communautés autochtones.

Un défi logistique au service de l’inclusion

« C’est toute une logistique de rassembler ces différentes communautés dont la majeure partie n’ont pas de routes communicantes », explique Marc Lalande, président-trésorier de l’Association québécoise autochtone en science et en ingénierie (AQASI). Sur les 11 nations autochtones du Québec, 7 d’entre elles étaient représentées cette année, rassemblant 71 participants qui ont réalisé 43 projets et provenant de 22 communautés. Un chiffre qui témoigne des effets de l’annulation due à la pandémie en 2020 qui avait causé une grande déception à un moment de forte popularité de cette Expo-sciences.

Cette formule distincte réservée à la communauté répond à un constat que Marc Lalande a développé au fil de ses 25 Expo-sciences avec les jeunes : « Entre les jeunes des communautés autochtones, la compétition, ça va. Lorsqu’ils doivent compétitionner directement avec des non-autochtones, ils se découragent. C’est pour ça qu’on a créé l’événement autochtone qui a changé la donne. »

Des projets ancrés dans les réalités locales

Les présentations des jeunes participants abordent souvent des questions directement liées à leur quotidien, créant des ponts ingénieux entre héritages culturels et démarches scientifiques.

À Mistissini, des adolescents ont mené une étude approfondie sur la qualité de l’eau de leur région qui allait bien au-delà d’une simple analyse chimique. Ils ont intégré des préoccupations environnementales héritées de leur culture avec des protocoles scientifiques rigoureux, examinant non seulement les paramètres standards mais aussi les impacts potentiels sur les pratiques traditionnelles comme la pêche.

D’autres élèves ont revisité la lampe à l’huile traditionnelle (Qulliq), objet culturel emblématique des communautés inuites. Leur expérimentation méthodique a comparé les performances de différents combustibles, des graisses animales traditionnelles aux huiles végétales contemporaines, mesurant précisément le temps de combustion, intensité lumineuse et résidus produits.

Plus audacieux encore, un projet issu de Wendake a exploré comment l’intelligence artificielle générative pouvait servir la préservation culturelle. Les jeunes participants ont développé un système permettant de créer des contenus numériques intégrant motifs, histoires et symboles wendats pour un parc destiné aux enfants de leur communauté – illustrant comment les technologies de pointe peuvent devenir des outils de transmission plutôt que d’uniformisation.

Ces projets ouvrent la voie à l’Expo-sciences pancanadienne, où quatre places sont réservées annuellement aux communautés autochtones québécoises. Cette année, deux jeunes de la nation Naskapi près de Shefferville et deux jeunes Cris de Mistissini feront le voyage. Pour encourager ces parcours, des prix spéciaux permettent aux lauréats de visiter des laboratoires universitaires ou d’accueillir des chercheurs dans leurs communautés.

Un partenariat qui évolue

Ces enjeux d’accessibilité, Guillaume Chicoisne les comprend intuitivement. Conseiller à IVADO et juge de l’événement depuis plusieurs années, il raconte :

« J’ai été élevé dans un village français où se trouvait l’école secondaire de la région. Mes parents n’ont pas fait d’études universitaires, mais croyaient fermement en l’importance de l’éducation. Quand on vit dans une communauté qu’il faut quitter pour faire ses études au-delà du secondaire, ce qui est le cas de nombreuses communautés autochtones, ce n’est pas facile de se projeter dans des études universitaires. »

Sa présence ne passe pas inaperçue. « La participation de Guillaume Chicoisne est vraiment très appréciée. Il connecte bien avec les jeunes et est mentor pour participer à l’Expo-sciences pancanadienne », observe Marc Lalande.

Pour Guillaume Chicoisne, l’enjeu dépasse la science.

« Je trouve important d’y participer pour accompagner les élèves, ouvrir leurs horizons, et s’ils ne choisissent pas la science, au moins ils auront été capables de faire un choix plus éclairé, et ils auront appris plein de choses au passage. »

L’édition de l’année prochaine se tiendra à La Tuque, accueillie par le Conseil de la Nation Atikamekw, poursuivant cette rotation géographique qui témoigne de la vitalité du projet. Pourtant, la continuité reste fragile.

« Le nombre de communautés participantes reflète beaucoup les changements de professeurs de sciences et leur passion », observe Marc Lalande.

Un constat qui souligne combien ces ponts entre les savoirs, pourtant essentiels, dépendent aussi encore de quelques individus déterminés à les maintenir.