Le ténia Taenia solium peut être éradiqué, mais, en raison de facteurs de risque individuels et sociétaux, il est plus compliqué de trouver une méthode efficace pour y arriver. Cartographier un réseau de causes et de relations pourrait révéler d’importantes cibles pour prévenir les infections.  

Imaginez un film d’horreur dans lequel un ver creuse de gros trous dans votre cerveau. Ce scénario n’est pas aussi tiré par les cheveux que vous pourriez le penser. Les larves du ténia Taenia solium, aussi appelé ver solitaire, peuvent faire exactement cela. Ce ver peut dévaster la vie de ceux et celles qui vivent dans des régions du monde touchées où peu de personnes ont accès à des salles de toilette et où les porcs errent librement. Dans leur revue systématique publiée en 2017 et intitulée The Causal Relationship between Neurocysticercosis and the Development of Epilepsy, Welburn et Gripper estiment que ces vers sont responsables d’environ 30 % des cas d’épilepsie locaux dans les régions en Amérique latine, en Afrique et en Asie où ce ver est endémique. Il existe des médicaments qui peuvent tuer les ténias, mais les convulsions et les autres symptômes peuvent persister durant toute la vie. Il serait donc préférable d’empêcher ces vers d’infecter les gens. Mon projet de recherche permettra de cartographier des informations tirées de plusieurs sources dans le but de trouver les voies les plus prometteuses pour éradiquer ce ver.

L’International Task Force for Disease Eradication a établi T. solium en tant que cible potentielle en 1993. Cependant, le cycle de vie complexe du ver aide et nuit aux efforts d’éradication. Sommairement, le parasite commence en tant qu’œuf dans le sol. Lorsqu’un porc ingère cet œuf, l’œuf éclot et libère une larve qui peut vivre dans plusieurs organes du porc. Les gens sont infectés lorsqu’ils mangent du porc insuffisamment cuit contenant des larves qui, ensuite, se développent en ténias adultes et vivent dans l’intestin grêle d’une personne où ils pondent leurs œufs. Les personnes infectées évacuent les œufs par leurs excréments. Si des salles de toilette ne sont pas disponibles, ces excréments peuvent se mélanger au sol où les œufs peuvent survivre pendant des mois en attendant d’être ingérés par un porc. Bien que les ténias adultes ne causent habituellement pas de symptômes, les personnes peuvent devenir l’hôte des larves si elles mangent accidentellement les œufs du parasite provenant des excréments humains. C’est à ce moment que les larves peuvent envahir le cerveau et causer des convulsions.

Plusieurs idées ont été testées pour éradiquer T. solium. Un traitement massif et répété des humains et/ou des porcs pourrait réduire le nombre de vers jusqu’à ce qu’il ne puisse plus survivre assez longtemps pour infecter de nouveaux hôtes. De plus, chacune des nombreuses étapes dans la transmission du parasite (un porc ingère l’œuf, un humain mange un porc, un œuf entre dans le sol, un humain mange un œuf) crée un point où un changement dans le comportement du porc ou de l’humain pourrait stopper la transmission. Cependant, de longues études seraient nécessaires pour tester dans quelle mesure ces stratégies de contrôle sont efficaces puisque les vers et les œufs peuvent survivre pendant des mois. Plutôt, la plupart des études consistent à mener une enquête dans une communauté pour déterminer si des infections sont plus ou moins susceptibles d’être observées chez les porcs ou les personnes adoptant des comportements particuliers. Les comportements les plus étroitement liés à l’infection peuvent être ceux qui, une fois stoppés, préviendraient le plus grand nombre de nouveaux cas.

L’enquête ponctuelle simple est plus rapide que les études plus complexes, mais, dans ce type d’étude, il est aussi plus difficile de déterminer si le comportement contribue réellement à la contraction de l’infection. Pensez à ce type d’étude comme s’il s’agissait d’une photo d’une pièce : vous pouvez voir ce à quoi ressemblait la pièce au moment où la photo a été prise, mais vous ne pouvez que deviner pourquoi elle ressemble à ce que vous voyez. Dans cette photo, la cause et l’effet proposés sont deux éléments qui peuvent ou ne peuvent pas être dans la pièce. Si les deux éléments sont présents ou absents au moment de prendre la photo, il est donc possible qu’un élément ait causé la présence de l’autre. Si les deux éléments sont présents ou absents au moment de prendre des photos de différentes pièces (c’est-à-dire mener des enquêtes dans d’autres communautés), vous pouvez être plus sûr qu’il existe un lien entre les deux éléments. Or, la présence ou l’absence commune de deux éléments n’est pas suffisante pour déterminer si un élément cause la présence d’un autre et dans quelle mesure. S’il y a des traces de pas boueuses dans la pièce et un parapluie à la porte, cela ne signifie pas que le parapluie a causé les traces de pas boueuses (et vice-versa). Ces deux éléments sont susceptibles d’être observés parce qu’il pleut, un fait qui n’est pas évident dans la photo. Ces causes courantes se nomment des facteurs parasites. Pour s’assurer que les comportements ciblés causent réellement l’infection au T. solium, il est essentiel de mesurer les facteurs parasites potentiels dans des études de recherche.

Malheureusement, il n’existe pas actuellement une méthode courante pour établir les facteurs parasites au moment de concevoir ou d’analyser les études relatives aux infections au T. solium. La plupart des études utilisent des définitions statistiques qui vérifient si le fait d’ajuster le facteur parasite suspecté modifie de façon signifiante les résultats, alors que d’autres utilisent leur expertise pour déterminer les variables qui pourraient être des causes communes importantes. Dans mes travaux de recherche, je propose d’adopter une approche plus systématique pour trouver les facteurs parasites. En analysant rigoureusement des études précédentes, je pourrai établir un réseau de causes et de relations entre elles afin d’établir les facteurs parasites qui devraient être ajustés durant l’analyse. Je pourrai ensuite utiliser ce réseau pour analyser les données précédemment recueillies et observer quels seront les impacts sur les résultats. En utilisant une approche cohérente, il sera plus facile de comparer les résultats de différentes études et d’établir les facteurs de risques les plus sérieux associés à ce ver.

Cet article a été réalisé par Ellen Jackson, étudiante 3e cycle Ph. D. en sciences vétérinaires, Département de pathologie et microbiologie, Faculté de médecine vétérinaire, (Université de Montréal), avec l’accompagnement de Marie-Paule Primeau, conseillère en vulgarisation scientifique, dans le cadre de notre initiative « Mon projet de recherche en 800 mots ».