La prochaine frontière en réadaptation dans le domaine de la santé est d’adapter les interventions et les traitements aux besoins particuliers de chaque personne dans le but de lui offrir des traitements plus personnalisés et une meilleure qualité de vie. L’utilisation d’algorithmes fondés sur des données pourrait améliorer les résultats cliniques pour les personnes souffrant de surdité ayant recours à des implants cochléaires.
Les implants cochléaires ont permis à la communauté médicale de rétablir l’audition des personnes souffrant de surdité sévère. À ce jour, ces implants sont les prothèses neuronales connaissant le plus de succès. Malheureusement, la technologie actuelle ne permet pas d’interfacer complètement les implants cochléaires avec le système nerveux auditif et, de ce fait, le signal transmis de l’implant cochléaire au cerveau est grandement dégradé comparativement au signal transmis dans le cas d’une audition naturelle. Bien que la technologie continue d’évoluer, les résultats qu’obtiennent les patients continuent d’être très variables et un écart existe souvent entre les résultats souhaités et les résultats mesurés. Dans le cadre de mes travaux de recherche, j’utilise des approches fondées sur des données dans le but de réduire de manière importante cet écart en caractérisant mieux les différences cérébrales et comportementales individuelles. En tirant parti de la puissance de l’intelligence artificielle pour faire ressortir les caractéristiques clés dans les données des patients, mes travaux de recherche fourniront des informations sur le type de stratégie de réadaptation cochléaire mieux adaptée à une personne donnée.
Même après plusieurs mois de réadaptation intensive, la capacité de comprendre la parole varie de manière importante d’un utilisateur d’implants cochléaires à l’autre. Il n’est actuellement pas possible de prédire avant l’implantation dans quelle mesure le patient pourra comprendre la parole et, pour plusieurs, la compréhension demeure limitée. Bien qu’un grand nombre d’utilisateurs d’implants puissent suivre une conversation dans une pièce où il y a peu de bruit et que certains soient aussi capables de communiquer par téléphone, la perception de la parole demeure, de manière générale, problématique. Ceci inclut la compréhension de la parole dans un endroit bruyant (p. ex., un restaurant ou un centre commercial), l’identification d’une personne par sa voix et la perception des émotions dans la voix (c.-à-d., lorsqu’une personne est heureuse, fâchée ou sarcastique).
Percevoir des émotions dans les sons s’avère un processus particulièrement complexe. Il y a une grande variété d’émotions qui sont exprimées différemment chaque fois qu’elles sont ressenties et, par conséquent, il en découle une variation considérable dans la manière dont elles se font entendre. Alors que reconnaître de manière auditive les émotions est un processus naturel pour la plupart des personnes ayant une audition normale, il est très difficile et parfois même impossible pour les utilisateurs d’implants cochléaires d’y arriver, même pour ceux d’entre eux ayant une bonne compréhension globale de la parole. Dans la vie de tous les jours, l’incapacité de percevoir des expressions émotionnelles particulières peut se traduire par des comportements inadéquats qui, à leur tour, nuisent aux relations sociales. Chez les jeunes enfants, cette incapacité peut aussi avoir une incidence sur les stratégies d’adaptation, notamment sur la façon dont ils gèrent leurs propres émotions. Les effets indésirables importants vont donc bien au-delà de l’audition et ont des conséquences sur le développement d’une personne, sur ses perspectives socioéconomiques et, de manière générale, sur sa qualité de vie. Une étape essentielle pour éliminer les obstacles actuels auxquels font face chaque jour les utilisateurs d’implants cochléaires consiste à comprendre de quelle manière l’adaptation du cerveau à la technologie des implants et les stratégies et les capacités des patients ont une incidence sur les résultats obtenus.
Mes travaux de recherche aideront à cerner les mécanismes cérébraux sous-tendant les processus auditifs endommagés chez les utilisateurs d’implants cochléaires et, dans un premier temps, porteront plus particulièrement sur la perception des émotions auditives. La première étape sera d’utiliser une approche fondée sur les données pour intégrer des données de neuro-imagerie (électroencéphalographie) et des données comportementales, telles les capacités de perception des émotions des utilisateurs, à d’autres renseignements pertinents tirés du dossier médical qu’accepteront de partager les patients. À partir de ces ensembles de données, des algorithmes d’apprentissage machine spécifiquement choisis aideront à établir les caractéristiques qui prédisent le plus exactement les résultats pour un patient.
Éventuellement, il est à espérer que des modèles prédictifs aideront à déterminer les réponses cérébrales associées à des émotions précises et l’information acoustique spécifique auxquelles ont recours les utilisateurs d’implants cochléaires pour réussir à distinguer les émotions. Avec le temps, des modèles semblables aideront à établir les types de combinaisons de caractéristiques permettant de mieux prédire les résultats cliniques au-delà de celles propres à la perception des émotions (qui est ce sur quoi se concentre initialement ce projet). Cette nouvelle compréhension des caractéristiques responsables de la variabilité des capacités de perception parmi les utilisateurs d’implants cochléaires aidera à maximiser le potentiel d’implantation et à guider les interventions personnalisées. Dans la plupart des cas, même une légère amélioration peut générer d’énormes avantages pour la qualité de vie et les perspectives socioéconomiques d’un patient.
Ce projet de neuroscience computationnelle n’est qu’un tremplin vers la mise en œuvre d’un référentiel à grande échelle pour une nouvelle unité d’implantation cochléaire qui étudiera plusieurs aspects de la perception auditive et de la qualité de vie chez les utilisateurs d’implants cochléaires. Il contribuera à établir les protocoles de recherche fondamentaux nécessaires pour faciliter le traitement à très grande échelle de données visant l’ensemble des résultats cliniques. Ultimement, ce projet mènera au développement d’un logiciel sur mesure qui fournira un outil facile à utiliser permettant de mesurer ces caractéristiques prédictives en clinique.
Cet article a été réalisé par Sébastien Paquette, Stagiaire postdoctoral, Département de psychologie (Université de Montréal), avec l’accompagnement de Marie-Paule Primeau, conseillère en vulgarisation scientifique, dans le cadre de notre initiative « Mon projet de recherche en 800 mots ».