L’activité du cerveau exposé à l’hypnose dans le but de réduire la douleur recèle encore des mystères. Mon projet de recherche en psychologie à l’Université de Montréal vise à déterminer, à l’aide d’algorithmes d’analyse de l’activité cérébrale, si les cerveaux des personnes participantes s’activent de façon synchronisée, afin de découvrir si l’hypnose réduit la douleur de façon semblable ou unique chez les sujets.
La douleur est une expérience désagréable qui peut grandement réduire la qualité de vie. Selon Statistique Canada, plus d’un million de Québécois et de Québécoises (16 %) souffrent de douleur persistante. Dans un article récent publié dans la revue Cerebrum, « Managing Pain », l’un des experts mondiaux les plus influents dans la recherche sur la douleur et le cerveau, Tor Wager, précise que la douleur est la raison la plus fréquente pour laquelle les gens consultent un médecin, et qu’elle affecte plus de personnes que le diabète, les maladies cardiaques et le cancer combinés. Plusieurs médicaments efficaces existent pour réduire la douleur, mais ils n’ont qu’un effet à court terme, leur coût est élevé et leur utilisation s’accompagne d’un grand risque de dépendance.
Une « crise des opioïdes » sévit actuellement en Amérique du Nord, justement en lien avec la prescription accrue de médicaments antidouleurs. Des efforts internationaux sans précédent sont déployés pour trouver des approches alternatives efficaces de gestion de la douleur. Dans un rapport récent, l’Association internationale pour l’étude de la douleur souligne qu’il est prouvé que l’hypnose est efficace pour réduire la douleur et que des efforts devraient être faits pour intégrer davantage l’hypnose dans les pratiques médicales courantes.
L’hypnose de scène suscite certainement une fascination chez les spectateurs, mais je trouve plus intrigant encore de constater qu’elle peut réduire la douleur, voire l’éliminer dans certains cas. Mais qu’est-ce que l’hypnose, exactement ? L’hypnose est un état d’attention focalisée qui s’accompagne d’une capacité accrue de réponse à la suggestion. Les suggestions verbales (par exemple, « vous sentirez votre main lourde ») sont les éléments clés de l’hypnose qui ciblent et modifient l’expérience même de la douleur.
D’abord, la personne qui reçoit de l’hypnose pour réduire la douleur est mise dans un état de détente et de disposition mentale favorable. Ensuite, elle est invitée, à l’aide des suggestions, à réinterpréter les sensations qui normalement pourraient être douloureuses en des sensations supportables. Par exemple, lors d’une intervention chirurgicale au bras, l’hypnothérapeute pourrait proposer à la personne de penser à un environnement agréable et de s’imaginer à cet endroit. Si la personne se voit sur une plage, il pourrait lui suggérer que les sensations perçues à son bras ne sont que des pincements du sable sur la peau qui est projeté par le vent. Ultimement, la sensation serait réinterprétée en fonction du contexte mental induit par les suggestions.
En réponse à des stimulations douloureuses, un ensemble de régions du cerveau s’activent pour mener à l’expérience désagréable de la douleur. Plus l’intensité de ces stimulations augmente, plus le « réseau cérébral de la douleur » s’active fortement. Un des résultats qui intriguent avec l’hypnose est qu’elle réduit l’activité cérébrale dans ce réseau lors de la sensation de douleur. L’hypnose produit ainsi non seulement une réduction de la douleur ressentie telle que rapportée par les gens, mais aussi une réduction de l’activité cérébrale provoquée par la douleur. L’hypnose agit donc sur les régions cérébrales de la douleur, ce qui en retour influence l’expérience subjective de la douleur.
Mais que se passe-t-il dans le cerveau avant cette réduction de la douleur ? Autrement dit, comment l’hypnose prépare-t-elle le cerveau pour qu’au moment de l’arrivée des sensations douloureuses, la réaction du cerveau et l’expérience de douleur ressentie par la personne soient réduites ? En mesurant l’activité du cerveau pendant les suggestions pour réduire la douleur, il est possible d’étudier comment le cerveau change son activité avant la douleur, en réponse à l’hypnose.
Mon projet s’appuie sur des mesures d’activité cérébrale acquises à l’aide d’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle. Pendant que les personnes participantes sont sous hypnose dans l’appareil, elles écoutent des suggestions pour réduire la douleur, puis elles sont exposées à des stimulations douloureuses. L’utilisation d’algorithmes d’analyse permet alors de mesurer si le cerveau de deux personnes est actif de façon synchronisée lors de l’écoute des suggestions. Pour chaque paire de personnes de l’échantillon, les algorithmes calculent si une même région du cerveau présente un signal qui covarie de manière similaire. Cette approche permettra de savoir si l’hypnose engage un ou des mécanismes communs dans tous les cerveaux sous hypnose étudiés. Par exemple, lors de l’écoute de suggestions, si l’activité d’une région cérébrale covarie de façon constante chez toutes les personnes participantes lors de l’écoute de suggestions, je pourrai conclure que cette région joue un rôle important dans le traitement des suggestions pour réduire la douleur. Les résultats de mon projet serviront aussi à mieux comprendre comment le contenu des mots véhiculés dans les suggestions pour réduire la douleur est interprété et transformé par le cerveau.
L’hypnose est un outil efficace pour réduire à la fois l’activité cérébrale liée à la douleur et l’expérience subjective de celle-ci, dans le cerveau et dans l’expérience subjective, et je travaille à comprendre les dynamiques cérébrales qui la sous-tendent. L’utilisation d’outils empruntés à l’intelligence artificielle est cruciale pour mieux cerner ce phénomène complexe.
Cet article a été réalisé par Dylan Sutterlin-Guindon, étudiante en psychologie (Université de Montréal), avec l’accompagnement de Marie-Paule Primeau, conseillère en vulgarisation scientifique, dans le cadre de notre initiative « Mon projet de recherche en 800 mots