Une méthode efficace pour mesurer la vitesse d’expansion de l’univers, soit la vitesse à laquelle toutes les galaxies s’éloignent les unes des autres, consisterait à entraîner un réseau de neurones artificiels à l’évaluer à partir d’observations de lentilles gravitationnelles. De cette façon, les cosmologistes seraient en mesure d’analyser la grande quantité de données que récolteront les futures générations de télescopes afin d’établir hors de tout doute la vitesse d’expansion de l’univers, laquelle est un élément clé pour comprendre les causes de son expansion et pour estimer son âge.

Le Legacy Survey of Space and Time (LSST) de l’observatoire Vera-C.-Rubin au Chili est un projet d’observation du ciel nocturne qui entamera ses activités en 2023. Pendant dix ans, son télescope recueillera jusqu’à 500 pétaoctets d’images, soit plus de 50 000 fois la quantité de données collectées par le télescope Hubble au cours de la même période. Des scientifiques de partout sur la planète étudieront ces observations pour mener leurs recherches. Pour les cosmologistes, ce relevé astronomique pourrait fournir l’information manquante pour résoudre le désaccord qui subsiste entre leurs mesures de la constante de Hubble-Lemaître, autre nom donné à la vitesse d’expansion de l’univers. Toutefois, traiter rapidement autant de données représente un défi de taille.

Mon projet vise à accélérer le procédé en entraînant un réseau de neurones artificiels à déterminer la constante de Hubble-Lemaître à partir d’observations astronomiques. Plus précisément, le réseau de neurones artificiels apprendra à distinguer les observations des simulations. Je générerai des images du cosmos à partir de différentes valeurs de la constante de Hubble-Lemaître. Si ces simulations sont suffisamment réalistes, le réseau de neurones artificiels pourra les distinguer des observations seulement grâce à la valeur de leur vitesse d’expansion. Ainsi, une image simulée à partir de la même constante de Hubble-Lemaître que celle des observations, c’est-à-dire la véritable valeur, sera difficile à classer. Les vitesses d’expansion des simulations que le réseau de neurones artificiels aura le plus de difficulté à discerner des observations indiqueront la véritable valeur et sa marge d’erreur.

Plus spécifiquement, les images que je simulerai présenteront des lentilles gravitationnelles. Celles-ci se produisent lorsque le champ gravitationnel d’une galaxie dévie la lumière d’une autre galaxie. La première galaxie se nomme « galaxie lentille » et la seconde, « galaxie source ». Le champ gravitationnel de la galaxie lentille est en fait la courbure de la structure de l’univers causée par sa masse. La lumière dévie donc, car elle épouse cette courbure. Ainsi, la galaxie lentille agit comme une lunette, mais en impliquant la gravitation, d’où le terme « lentille gravitationnelle ». Conséquemment, des arcs lumineux ou un anneau complet provenant de la galaxie source apparaissent autour de la galaxie lentille. Cela ressemble à une chandelle vue au travers du pied d’une coupe à vin. La lueur de la flamme adopte la géométrie du verre, formant un cercle de feu. C’est aussi ce qui se passe avec la galaxie source et le voisinage de la galaxie lentille.

Ce phénomène sert à évaluer la constante de Hubble-Lemaître parce qu’il est sensible à sa valeur. En effet, le réseau de neurones pourra se fier à l’envergure des arcs lumineux, car cette dernière en dépend fortement. Aussi, les galaxies sources contiendront un corps céleste scintillant. L’un de ses clignotements emprunte plusieurs chemins le long de l’univers déformé par la galaxie lentille. Puisque la lumière se déplace toujours à la même vitesse, elle requiert des temps différents pour les parcourir. Les distances entre les galaxies dépendent de la vitesse d’expansion de l’univers, et donc, de la durée de ces parcours aussi. Ainsi, ces scintillements atteignent la Terre à des temps variés. En plus des images, le réseau de neurones s’appuiera sur les délais entre les clignotements pour inférer la constante de Hubble-Lemaître.

L’avantage de cette méthode impliquant les lentilles gravitationnelles est qu’elle est indépendante de celles employées jusqu’à maintenant. Actuellement, les mesures de la vitesse d’expansion de l’univers provenant de signaux lumineux locaux diffèrent de celles provenant de signaux lumineux lointains. Une erreur expérimentale ignorée pourrait expliquer cette incohérence. L’autre possibilité est que les connaissances scientifiques sur l’univers sont incomplètes, ce qui signifierait beaucoup d’études à venir. Les cosmologistes recherchent donc une nouvelle méthode pour trancher entre la valeur locale et celle lointaine, d’où l’intérêt de recourir aux lentilles gravitationnelles.

En bref, les cosmologistes détiendront bientôt les éléments nécessaires à la résolution du désaccord entre les mesures de la vitesse d’expansion de l’univers. D’un côté, le LSST détectera suffisamment de lentilles gravitationnelles pour effectuer une analyse statistique rigoureuse. De l’autre, si ses résultats s’avèrent exacts, mon projet permettra de traiter rapidement cette imposante quantité de données, puisqu’il ne nécessite que l’entrainement d’un réseau de neurones classificateur, ce qui requiert peu de temps. Une fois sa valeur bien établie, la constante de Hubble-Lemaître révèlera l’âge de l’univers et s’ajoutera aux informations sur la cause de son expansion, laquelle reste inconnue. Surtout, elle apportera un élément de plus pour répondre à une question qui se pose bien au-delà de notre planète : dans quel type d’univers vivons-nous ?

Cet article a été réalisé par Ève Campeau-Poirier, étudiante à la maîtrise en physique (Université de Montréal), avec l’accompagnement de Marie-Paule Primeau, conseillère en vulgarisation scientifique, dans le cadre de notre initiative « Mon projet de recherche en 800 mots ».