Une carie est une infection importante des dents qui doit être traitée rapidement. Une opération, appelée « préparation dentaire », permet de retirer l’infection et de préparer la dent à recevoir une couronne qui la protégera. Toutefois, en raison du caractère unique de chaque dent humaine, les préparations dentaires s’ajustent souvent mal à la couronne, ce qui peut mener au détachement de cette dernière ou à la formation de nouvelles caries. Pour résoudre ce problème, des méthodes basées sur l’intelligence artificielle sont aujourd’hui développées afin de générer des préparations dentaires plus précises et à moindre coût, améliorant et démocratisant ainsi la dentisterie.
Un rapport de Statistiques Canada stipule qu’environ 96 % des adultes ont déjà eu au moins une carie, et qu’ils continueront d’en avoir au courant de leur vie. Si certaines petites caries se règlent par un simple plombage, d’autres, plus profondes, nécessitent la pose d’une couronne dentaire pour couvrir et protéger la dent. Avant de recevoir une couronne, la dent doit d’abord être « préparée » pour déloger les caries. Comme chaque dent est unique, l’opération de préparation doit être personnalisée. Une carie trop profonde ou située entre deux dents place les dentistes face à un choix de préparation difficile qu’ils doivent faire rapidement, au cours d’une seule visite. De nouvelles méthodes basées sur l’intelligence artificielle permettent aujourd’hui de simplifier ce choix en générant une préparation dentaire sur mesure à partir d’une numérisation de la dent d’origine. Les dentistes peuvent ainsi identifier les sections de la dent qui doivent être enlevées afin de générer des préparations dentaires plus précises et mieux adaptées à chaque dent.
En pratique, les parties d’une dent d’origine devant être taillée pour permettre la pose d’une couronne diffèrent considérablement d’une dent à l’autre. Comme une clé et sa serrure, une couronne dentaire doit bien s’emboîter dans la préparation dentaire. Bien ajustée, la couronne sera plus durable et risquera moins de tomber. Cependant, le manque de standard de qualité et de procédures personnalisées pour les préparations dentaires peut entraîner un mauvais alignement entre la préparation du ou de la dentiste et la couronne réalisée par le technicien ou la technicienne dentaire. Si la préparation originale ne correspond pas aux exigences de rétention dentaire définies par les personnes techniciennes, la couronne ne pourra pas être posée et le ou la dentiste devra tailler davantage la dent lors d’une deuxième procédure afin d’ajuster sa forme à celle de la couronne. Un moule en cire, appelé « coiffe de réduction dentaire », devra également être fabriqué par les techniciens et techniciennes dentaires pour aider à mieux identifier les endroits où plus d’émail doit être retiré. Ce processus d’essai et erreurs est considéré comme étant inefficace par les spécialistes dentaires, car il nécessite la fabrication d’une coiffe en cire et augmente le nombre de séances auxquelles le patient ou la patiente doit se présenter.
Mon projet de recherche, co-supervisé par les professeurs Farida Cheriet et François Guibault à Polytechnique Montréal, vise à résoudre ce problème en établissant une approche automatisée pour valider et optimiser une préparation dentaire à partir d’un modèle 3D de la dent d’origine. Cette validation durant l’opération se fera en comparant la préparation réalisée par le ou la dentiste à celle générée par notre algorithme. Le système générera automatiquement une visualisation 3D de la préparation, laquelle sera superposée au modèle 3D de la dent d’origine, permettant au dentiste ou à la dentiste d’identifier rapidement les endroits où un surplus de dent doit être taillé. Cette superposition sera aussi accompagnée d’une représentation de l’intérieur de la dent originale, obtenue grâce à une numérisation par balayage à rayons X, ou tomodensitométrie, ce qui permettra d’éviter que la préparation suggérée n’enlève trop de dent et n’atteigne le nerf.
Pour entraîner l’algorithme, nous utilisons une base de données contenant des centaines de numérisations de l’intérieur de la bouche de patients et de patientes ayant déjà subi une préparation dentaire afin de concevoir un modèle de « déformation de formes ». La déformation de formes est un sous-domaine de l’apprentissage par réseaux de neurones qui vise à créer automatiquement une nouvelle forme – telle qu’une dent – à partir d’une série de formes existantes. La génération de nouvelles formes est similaire à notre propre imagination. Par exemple, en se basant sur ses connaissances de formes géométriques, le cerveau humain est capable d’imaginer une sphère se transformant en cube, même s’il n’a jamais vu cette série d’images spécifiques dans le passé. De manière similaire, l’intelligence artificielle peut générer une nouvelle forme qu’elle n’a jamais vue en se basant sur un amalgame de formes similaires. Cette génération d’informations nouvelles est aussi améliorée par l’accès à une plus grande variété de données : plus l’algorithme voit de cas différents, mieux il performera sur des formes dentaires compliquées. Grâce à une collaboration avec Kerenor, un laboratoire dentaire situé à Montréal, notre équipe de recherche a accès à un grand nombre de préparations dentaires provenant d’une variété de cas réels, ce qui permet un meilleur entraînement de l’algorithme.
Cette nouvelle méthode basée sur l’intelligence artificielle joue, en théorie, un rôle très similaire à celui de la coiffe de réduction dentaire en cire utilisée actuellement par les spécialistes. Cependant, notre méthode est purement informatique et n’implique aucune conception matérielle, ce qui réduit les coûts de production et de main-d’œuvre. En matière d’éducation, cet outil donnera aussi l’occasion aux étudiants et aux étudiantes en dentisterie de pratiquer leurs procédures sur une plus grande variété de préparations dentaires. De plus, puisque les résultats de l’évaluation se feront immédiatement avec ce nouvel outil informatique, des ajustements à la préparation dentaire pourront se faire au cours d’une seule séance, au grand bonheur des patients et des patientes.
Cet article a été réalisé par Imane Chafi, étudiante en génie informatique (Polytechnique Montréal), avec l’accompagnement de Claudia Picard-Deland, conseillère en vulgarisation scientifique, dans le cadre de notre initiative « Mon projet de recherche en 800 mots ».