Puisque l’électroencéphalogramme n’est pas un outil parfait de diagnostic de l’épilepsie, l’intelligence artificielle s’ajoute au test pour augmenter sa sensibilité. Ainsi, pour les personnes atteintes de cette maladie, cette technique offre un diagnostic plus rapide et permet ainsi l’instauration d’un traitement adéquat plus tôt dans le parcours de soins. C’est ce sur quoi travaille actuellement l’équipe du chercheur Élie Bou Assi du CHUM à Montréal.
Selon l’estimation de l’OMS, 50 millions de personnes dans le monde sont atteintes d’épilepsie, une maladie neurologique affectant la qualité de vie des patients. Un des piliers actuels du diagnostic de l’épilepsie est l’interprétation visuelle de l’électroencéphalogramme (EEG) par un neurologue à la recherche de signaux de décharges électriques interictales, c’est-à-dire des signaux électriques observables entre les crises d’épilepsie.
Malheureusement, plus de la moitié des EEG de routine de 30 minutes n’arrivent pas à capter ces signaux sporadiques. En absence de ces biomarqueurs, les cliniciens peuvent soit être rassurés par le « faux négatif », soit rester devant un dilemme diagnostique retardant les décisions thérapeutiques adéquates. Pour contrer ce problème, j’ai bâti mon projet de recherche visant à explorer de nouveaux biomarqueurs de connectivité cérébrale cachés dans les EEGs ayant une meilleure sensibilité.
Les théories de la physiopathologie d’épilepsie suggèrent que les mesures de connectivité cérébrale sont probablement des biomarqueurs stables permettant de différencier le cerveau d’un sujet sain et celui d’une personne atteinte. Une crise épileptique est le résultat d’activités électriques anormales déclenchées spontanément de manière synchronisée entre régions cérébrales. Plus les connexions entre les neurones d’un cerveau sont nombreuses, plus l’influx nerveux a de la facilité à se propager rapidement dans tout le réseau neuronal, ce qui favorise le déclenchement de crises épileptiques. Ainsi, l’hypothèse de l’équipe du Dr Bou Assi, dont je fais partie, stipule que le réseau fonctionnel d’un cerveau épileptique est altéré comparativement à un cerveau sain. La connectivité cérébrale est donc une propriété caractéristique des personnes atteintes d’épilepsie. Cette connectivité peut être calculée sur les EEG.
L’EEG est un enregistrement des activités électriques cérébrales à l’aide de plusieurs électrodes collées sur le crâne. Chaque électrode enregistre la variation d’intensité des décharges électriques de sa région du cerveau en fonction du temps. La connectivité fonctionnelle est définie par le degré de synchronisation de l’activité électrique entre deux régions corticales. Pour construire un réseau de connectivité fonctionnelle, chaque électrode sera représentée par un nœud et le degré de synchronisation entre chaque paire d’électrodes, par une arête. Ainsi, nous pourrons obtenir un graphe de connectivité fonctionnelle sur lequel nous pourrons extraire les biomarqueurs de connectivité, qui sont utiles pour le diagnostic d’épilepsie, pourra être obtenu.
Plusieurs biomarqueurs de connectivité pourraient être calculés selon les théories des graphes (une branche de mathématiques discrètes étudiant les propriétés des graphes). Ces biomarqueurs peuvent être regroupés par catégories, illustrant différentes propriétés du réseau comme la densité (nombre de connexions par nœud), la ségrégation (si les voisins des voisins sont aussi des voisins en formant un triangle) et l’intégration (la facilité à se déplacer d’un nœud à n’importe quel autre nœud).
Plus les arêtes sont nombreuses, plus les nœuds sont connectés, plus la densité est élevée. Les mesures de ségrégation d’un réseau comme le coefficient d’agglomération moyen, illustrent à quel point le réseau est formé de petits groupes dont les nœuds se sont beaucoup interconnectés. Plus le coefficient d’agglomération d’un nœud est élevé, plus les voisins de ce nœud sont aussi connectés entre eux, formant des circuits fermés. Les mesures d’intégration d’un réseau comme l’efficacité globale nous donnent l’information sur la facilité de se rendre d’un nœud à n’importe quel autre nœud sur le graphe. Dans le contexte du réseau cérébral, cela représente la facilité de communication entre un point du cerveau et un autre.
Plusieurs études antérieures ont déjà démontré que les biomarqueurs de connectivités issues des théories des graphes permettent de différencier les EEG des personnes épileptiques et ceux des personnes non épileptiques. Cependant, la plupart des études antérieures ont un échantillon de moins de 50 patients et patientes, ce qui est insuffisant pour obtenir une conclusion statistiquement significative et généralisable à la population entière. Aussi, elles n’ont pas tenu compte des covariables cliniques (p. ex., âge, médicaments, comorbidité) comme facteurs confondants, qui, selon l’étude de Béla Clemens, neurologue à l’hôpital universitaire Kenézy Gyula, « Inter-ictal network of focal epilepsy and effects of clinical factors on network activity » publiée en 2019, auraient un effet direct sur les mesures de connectivité.
Au CHUM, l’équipe du Dr Bou Assi a accès à une base de données de plus de 900 EEG accompagnés des dossiers médicaux (incluant les personnes atteintes d’épilepsie et les personnes sans épilepsie qui ont passé un EEG pour d’autres raisons, comme un contrôle). Sur chaque EEG, nous extrayons les biomarqueurs de connectivité par bande de fréquence et par segments de 10 secondes. Nous générons des millions de données avec plus de 900 EEG multipliés par 100 segments multipliés par 5 bandes de fréquences multipliées par une vingtaine de biomarqueurs calculés. Ensuite, nous regroupons toutes les valeurs de biomarqueurs de même catégorie ensemble pour entraîner un classificateur d’intelligence artificielle permettant de différencier les personnes atteintes d’épilepsie et les personnes non atteintes. L’intelligence artificielle nous permet de faire face à la complexité du réseau neuronal et la grande variabilité individuelle.
Nous travaillons continuellement à enrichir la base de données et à optimiser chaque étape de l’analyse de signaux des EEGs, afin d’améliorer la performance des classificateurs pour obtenir un outil diagnostique de plus en plus fiable.
Cet article a été réalisé par AnQi Xu, étudiante en médecine (Université de Montréal), avec l’accompagnement de Marie-Paule Primeau, conseillère en vulgarisation scientifique, dans le cadre de notre initiative « Mon projet de recherche en 800 mots ».